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« VENUS »

Réflexions autour de l'exposition de sculptures aux Grottes de Cougnac

 

"en toute humilité et sans aucune prétention"

Cette exposition s’est déroulée aux Grottes de Cougnac  (46300 Payrignac) du 24 Juillet au 24 Septembre 2014 grâce au bon accueil que les gérants du site ont fait à ma proposition. Je voudrais ici particulièrement remercier Francis (…) grâce à qui ce projet a pu se réaliser.

Le terme « Vénus » désignant les sculptures préhistoriques féminines c’est définitivement révélé peut approprié à mes yeux après la rédaction de ce texte. Celui-ci m’a permis de comprendre que l’utilisation de cette désignation notamment dans les titres donnés à mes œuvres éloignait celles-ci de ce que je cherche à transmettre vis-à-vis de l’art sculptural du paléolithique. Cette appellation donnée par les scientifiques occidentaux du XIXème semble finalement bien ethnocentrique dans le fait d’avoir rattaché cette forme d’art à l’antiquité gréco-romaine et insinuant par-là même l’existence d’une forme de culte religieux autour de ces sculptures.

Mais ce terme à également le mérite même s’il est tronqué d’être accessible et reconnu par tous ce qui facilite la compréhension du public  lorsqu’il est utilisé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Concept artistique

Réinterpréter la représentation féminine en ronde-bosse du paléolithique est pour moi une façon de toucher au plus près à la genèse artistique sculpturale de nos latitudes culturelles et plus largement aux arts primitifs qui sont les formes d’expressions artistiques qui me touchent et me parlent le mieux et le plus.

L’idée, l’intention que le sculpteur des origines a voulu transmettre et montrer à travers l’image d’une femme aux reliefs généreux ne nous est pas parvenue et reste auréolée de mystère. Il nous reste pour les interpréter la vérité de leur apparence, ce qu’elles nous donnent à voir, dépouillée de concept, laissant le champ libre à notre imagination.

C’est avec ce concept que je sculpte, jouant librement avec les formes et ce que suggère cette image féminine, en situant volontairement ces sculptures entre œuvre d’art et objet cultuel, allant au-delà de la simple esthétique, curieux et intrigué de ce que suscitera cette représentation de la femme auprès du public.

Aspect sacré des sculptures

La façon dont je conçois mes sculptures, par la mise en chef d’œuvre quasi-systématique à l’aide de formes enveloppantes et protectrices telles que la mandorle par exemple, sacralise l’objet. Ce n’est pas seulement une sculpture, présentée seule mais, un ensemble qui la met en situation.

Egalement, le fait d’utiliser pour certaines d’entre elles des patines qui leur donnent un aspect ancien et usuel, résultat du passage du temps et d’actes de dévotions, renforce cette idée d’objet utilisé, sacré, les situant au-delà du simple objet esthétique. 

 

Du symbole féminin originel

Ce que je m’applique à transmettre à ces sculptures inspirées des Vénus du paléolithique est la représentation symbolique de la femme de l’origine de l’humanité dans sa plus pure expression.

La femme figurée dans ce qu’elle donne à l’humanité, sa fertilité, son sein nourricier, son ventre théâtre d’actes mystérieux,  son sexe où entre et d’où sort la vie, enfin sa nature propre qui lui permet de mettre au monde l’enfant qui perpétuera l’espèce, la  culture, le savoir.

Ces sculptures tiennent également du symbole masculin et en particulier de la forme de son sexe : formes érigées, formes stylisées où féminin et masculin se confondent dans une étreinte intime de courbes. Elles participent en ce sens des deux versants de l’humanité, de l’ambivalence présente dans tout symbole.

Toute cette symbolique, profondément enracinée dans l’inconscient collectif et  l’absence d’explication sur leur véritable destination font de la Vénus un sujet émotionnel particulier où toutes les théories s’affrontent.

 

Du désir de susciter une véritable émotion

Ce que donnent à voir mes œuvres est volontairement une image simple du corps féminin lisible par tous. Pas besoins ici d’érudition artistique ou culturelle pour appréhender ce qu’elles représentent. Tout un chacun connaît l’image de la femme, de la mère. On peut alors simplement laisser monter en soi cette émotion intime, cette vérité simple qui parfois nous touche lorsque nous sommes en présence d’une œuvre d’art.

Je suis en ce sens plus attaché à ce que la personne ressent en présence d’une de mes pièces qu’à un éventuel message que je voudrais transmettre ou imposer. 

 

Démarche artistique

Je travaille essentiellement à partir de blocs de pierres lotois et plus particulièrement Bourians. L’étude des cartes géologiques puis la prospection font partie intégrante de ma démarche, elles me permettent de mettre en valeur la richesse des roches locales largement exploitées dans les temps anciens et de sculpter une pierre inédite. 

Ces blocs naturels que je collecte et qui n’ont pas subi de transformation de la main de l’Homme, imposent leurs formes et leurs volumes à la sculpture envisagée, celle-ci étant donc en partie contrainte par le travail de la nature.

Sans doute aussi, ce contact à la base de ma démarche avec les lieux naturels  où se trouve la matière première de mes pièces influence-t-il l’ensemble de ma création et par là même suggère un dialogue avec le sculpteur du paléolithique.

 

Coup de cœur

Ma première visite aux grottes de Cougnac a été un véritable coup de cœur. L’authenticité du site et des personnes qui l’animent, sa dimension humaine ainsi que l’intérêt que lui avaient porté les Hommes du paléolithique supérieur ont éveillé chez moi le désir de présenter mes sculptures dans cet espace minéral. Aussi, la proximité avec mon lieu de résidence et de travail et l’appartenance aux même pays, la Bouriane, a-t-il influencé cet attrait.

Ce voisinage géologique entre pierres et caverne a également suscité chez moi la curiosité de confronter la matière et les couleurs et par là leurs similitudes dans un ensemble sculpture/lieu cohérent. Ce dialogue soupçonné c’est alors également révélé aux personnes participant à l’installation et travaillant sur le site, nous surprenant tous bien haut-delà de ce que nous avions imaginés.

 

De l’environnement légitime

De ce fait, lors de la mise en place des sculptures dans la grotte notre première installation s’est voulue classique : un éclairage franc et direct, un positionnement des pièces dans des espaces dégagés. Cette mise en espace nous est alors apparue trop brutale et disharmonieuse, les sculptures s’imposant trop au site. Nous avons alors diminué les éclairages et positionnés les pièces dans des espaces plus intimes, jouant plus fortement du mimétisme entre sculptures et concrétions.

Nous est alors apparu de manière flagrante ce que nous suspections de prime abord: les formes et les couleurs des Vénus étaient similaires à celles des concrétions, plaçant cette exposition au-delà de la simple présentation de sculptures, légitimant l’idée de vouloir montrer ces sculptures dans cet espace. 

 

De la manière dont les formes et les couleurs des concrétions minérales et des sculptures se répondent et se complètent.

Il est troublant et intriguant de constater ce mimétisme entre sculptures inspirées des Vénus préhistoriques et concrétions souterraines et plus largement au monde cavernicole au regard de l’intérêt particulier que portaient à ce dernier les Hommes de la préhistoire. Quelle a été l’influence de la plastique de ce milieu sur la façon dont ont été travaillées ces sculptures ?

Evidemment, l’influence cavernicole directe sur la naissance de l’art est encore aujourd’hui une simple hypothèse, qui n’est ni prouvée, ni infirmée de manière certaine. Rien ne prouve que nos ancêtres n’aient pas également investi massivement des espaces extérieurs propices à la création (arbres, plages de sable, neiges, terres,…) et dont il ne reste aucune trace. De même, aucune preuve archéologique ne démontre qu’un culte était rendu à ces représentations de la femme que l’on nomme de manière ambigüe Vénus et qui peuvent n’avoir été que des objets purement fonctionnels.

Cependant, on peut énumérer plusieurs facettes concrètes de la ressemblance entre concrétions et sculptures:

  • La verticalité, ou loi de frontalité, ou l’axe est presque toujours parfaitement absolu

  • Les rondeurs, courbes et bourrelets

  • La paréidolie de cette foule de stalagmites comme autant de personnages debout et pétrifiés

  • La matière prenant le poli quasiment toujours recherchée par les auteurs des sculptures (ivoire, bois de cervidés, os, calcite, stéatite, serpentine,…) renvoyant par-là à l’aspect brillant et luisant des concrétions ainsi qu’à leur toucher

  • La caverne, symbole matriciel et chtonien renvoyant au ventre féminin, à la matrice procréatrice et au caractère presque toujours féminin des sculptures

Ce n’est ici que la simple constatation du fait d’avoir confronté sculptures et caverne. Ces différents points de convergences ont fait de cette exposition une expérience particulière qui m’ouvre un nouveau champ d’investigation et de réflexion artistique. Où est la limite entre formes naturelles et créations humaines, puis-je me débarrasser de mon esthétique conventionnelle pour adopter celle de la nature afin de sculpter ces représentations de femme ?

 

Du dialogue entre grotte minérale et sculptures humaines

Ainsi dans cet échange nait une véritable résonnance entre forme naturelle et réalisation humaine soulignant les liens qui les unissent.  La caverne et ses merveilles minérales ont probablement une influence importante dans la naissance de l’art et de la mythologie humaine du paléolithique tant cet espace a été occupé et dédié à la peinture, gravure et sculpture. Cette constance à interpréter les formes naturelles des reliefs des grottes montre que nos ancêtres avaient la volonté de voir au-delà  des conséquences des actions purement aléatoires de la nature des formes et des idées qu’ils pouvaient déchiffrer, interpréter, solliciter.

Dans cette optique, affirmer qu’ils décelaient comme nous, lors de l’installation des sculptures et une fois notre œil disposé à voir ce que nous pouvions interpréter comme autre chose que des formes naturelles, laisse entrevoir l’influence qu’a eue la caverne sur la culture humaine et par là le lien probant qu’il y a entre elles.

En réintroduisant des sculptures qui ont pour source d’inspiration les représentations féminines dites Vénus dans la grotte de Cougnac qui est un des sites rupestres majeurs du paléolithique supérieur du sud-ouest de la France, notre action s’est placée dans la continuité de celle de ces Hommes qui y ont fait naître et développer l’art aux origines de l’humanité. Cette exposition leur rend en quelque sorte hommage en tentant de mettre en lumière l’influence de la caverne sur la genèse de nos origines artistiques et en bouclant humblement une promenade de plusieurs dizaines de milliers d’années. 

 

De la confrontation à un lieu d'exception

La grotte reste donc dans l’inconscient collectif un espace majeur, propice à la réflexion et à l’informel, le plaçant en deçà du monde dans lequel nous vivons la plupart du temps, dans un univers à part, un lieu d’exception au sens littéral du terme. 

Il était donc inévitable que cette exposition suscite une émotion particulière, que la confrontation de sculptures dont le ressenti est par nature suggestif et de ce lieu  hors norme qu’est la grotte amène une réflexion singulière. Une nouvelle fois cette expérience laissera indéniablement sa trace sur mon  parcours artistique, influencera mes choix futurs tant elle a marqué mon esprit et ma sensibilité.

 

Descendre dans une grotte comme symbole ancestral

Après réflexion, avoir la chance de pouvoir montrer mes sculptures aux grottes de Cougnac a ainsi revêtue une symbolique toute particulière. C’est finalement un acte culturel fort qui légitime mon travail et redonne au lieu sa fonction ancestrale. On ne peut malheureusement pas mettre des pensées claires sur la véritable signification de cet acte puisqu’on ignore ce qu’il représentait pour nos ancêtres mais je pense que l’on a ici touché à quelque chose d’intime, à la sensibilité artistique et créatrice qui unissaient monde cavernicole et croyances humaines.

Cette expérience a peut-être aussi le mérite de montrer que l’approche artistique de l’occupation des grottes à la préhistoire peut aussi amener un angle de vision plus intuitif sur l’interprétation qui est faites de leur rôle. Car si effectivement des millénaires d’ignorance nous séparent nous ne restons pas moins les descendants culturels de ces Hommes et même si bien sûr cette expérimentation reste totalement suggestive, elle a eu le mérite de faire naître de nouvelles questions, d’ouvrir un nouveau champ de réflexions artistiques.

 

Contextualisation des sculptures

Cette exposition a mis en lumière l’influence artistique qu’il peut y avoir eu entre concrétions et inspiration pour la création des sculptures du paléolithique supérieur. Il est troublant de constater comme mon affinité pour cette période sculpturale a trouvé une résonnance toute particulière lors de cette exposition dont la réalisation n’était pas planifiée lors de leur conception.

J’envisage de travailler avec ce dialogue révélé pour de futures sculptures en accentuant le mimétisme concrétions/formes humaines. Je pense m’inspirer pour cela de l’art des suiseki asiatiques qui propose des pierres non retouchées et dans lesquelles on peut voir des formes humaines et animales, végétales et de paysages. Je vais alors faire le trajet inverse en déconstruisant les formes figuratives pour me rapprocher de ce que la nature fait de façon aléatoire.

J’espère alors pouvoir renouveler l’expérience d’exposer ces pièces dans une grotte pour pouvoir découvrir de quelle façon cela fonctionne, quelles nouvelles suggestions artistiques et de réflexion cela créera. 

 

De l’intimité entre les Vénus et le public

Cette exposition au caractère informel a suscitée toutes sortes de réactions de la part du public du lieu. Beaucoup ont été surpris de découvrir les sculptures au long de la visite. Le mimétisme entre sculptures et concrétions a été proposé comme un jeu : découvrir les Vénus dans le chaos minéral de la grotte. Il est remarquable à ce sujet que les enfants aient eu beaucoup plus de facilité à discerner le naturel du manufacturé.

Le caractère extraordinaire du fait de se trouver dans une caverne a aussi peut-être renforcé la disposition du public à recevoir les sculptures de façon plus intime que dans un lieu d’exposition classique ou ils seraient venus pour voir de l’art. Cet « effet de surprise » a probablement permis au public de ressentir une émotion peut rationnalisée face à une œuvre d’art, sans explication conceptuelle dont semble devoir se parer toute démarche artistique et derrière laquelle le public à pris l’habitude de cacher son émotion intime face à l’art.

J’espère que cette exposition a permis à certain d’ouvrir leur sensibilité intérieure et qu’ils ont emmené dans leur esprit une belle et véritable expérience personnelle.

 

Aboutissement de la démarche artistique

Cette rencontre mimétique entre sculpture et lieux devient en un sens une sorte d’aboutissement complet pour ma démarche artistique. Sans planification préalable et parce qu’on m’a donné la chance de pouvoir réaliser cette exposition, nous avons créés une véritable plus-value artistique, posés des questions que j’espère pertinentes quant à l’influence du milieu cavernicole sur la naissance de l’art, permis au public de développer son sens critique au contact d’œuvres d’art.

Personnellement, cette expérience va marquer significativement ma façon de concevoir mes sculptures, me donnant ainsi une ligne de travail et de réflexion pour les années à venir. Elle souligne également l’importance du contexte dans lequel des œuvres d’art sont montrées, une même sculpture pouvant susciter des émotions bien différentes suivant l’endroit où elle se trouve. 

 

                                                                                                                                                                                                 GALLERNEAU

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